LES
TROUBLES DE VOISINAGE ET L'INJONCTION EN
COPROPRIÉTÉ






par
Me
Serge Abud,



avocat
chez
PAPINEAU AVOCATS inc.






Étant donné la
température
généralement très clémente de cet été, vous vous retrouvez dans une
situation
où vous humez les effluves provenant du barbecue de votre voisin d’en
dessous
que celui-ci a décidé d’utiliser quotidiennement, en plus de vous faire
«partager»
son goût immodéré pour l’opéra à toute heure du jour et de la nuit,
le
tout malgré vos protestations personnelles et répétées. Vous saisissez
votre
syndicat de la situation et malgré les avertissements donnés,
votre voisin ne
diminue pas le rythme de sa cuisson estivale ni le
volume de ses auditions
musicales… Quels sont les recours qui
restent? Quelles sont les règles
minimales que tous les voisins
doivent respecter afin de maintenir la bonne
entente entre eux?





Mis à part certaines
dispositions relatives aux arbres,
aux limites de terrain, à l’écoulement des
eaux et aux droits de
passage, les relations entre voisins au Québec sont essentiellement
régies
par l’article 976 du Code civil du Québec qui se lit comme suit : Les
voisins
doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent
pas
les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la
situation
de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.





Cet
article doit être lu
en conjonction avec l’article 7 du même code
suivant lequel aucun droit ne doit
être exercé en vue de nuire à
autrui ou de manière excessive et déraisonnable
ainsi qu’avec
l’article 1457 suivant lequel toute personne a le devoir de
respecter
les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou
la
loi, s’imposent à elle de manière à ne pas causer préjudice à autrui.





L’article 1063 du Code
civil prévoit en effet que chaque
copropriétaire jouit librement de sa partie
privative et des parties
communes, à la condition de respecter le règlement de
l’immeuble et
de ne pas porter atteinte ni aux droits des autres
copropriétaires ni
à la destination de l’immeuble.





Dans chacune de
ces
dispositions législatives, on constate une constante qui est
applicable à
l’ensemble du droit civil québécois, à savoir que le
préjudice causé à autrui
demeure la limite à l’exercice des droits de
chacun. La détermination du
«préjudice» dans un contexte de
voisinage pouvant cependant dépendre de la
subjectivité et des
sensibilités particulières des personnes impliquées, le
législateur a
également imposé un élément objectif au débat potentiel en
obligeant
celles-ci à «accepter les inconvénients normaux du voisinage».





À l’obligation de ne pas
causer préjudice à autrui
s’ajoute donc une autre obligation réciproque, voire
même un devoir,
celui de la tolérance «qu’ils se doivent suivant la nature ou
la
situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux».





Le
contexte de la
copropriété divise a cette particularité qu’il
spécifie l’exigence législative
relative à la «nature de leurs
fonds», par le biais du règlement de l’immeuble
contenu au sein de la
déclaration de copropriété. Les copropriétaires donnent donc
un
cadre contractuel à leurs relations de voisinage.





Lorsqu’il
est fait un
usage abusif de ses droits et que les inconvénients du
voisinage cessent d’être
«normaux», il est possible en droit civil de
demander à la Cour supérieure, lorsque les
conditions requises sont
présentes, d’enjoindre à une personne «de ne pas faire
ou de cesser
de faire» quelque chose. Cette possibilité porte le nom
d’injonction
et est prévue spécifiquement dans le contexte de la copropriété
divise
par l’article 1080 du Code civil du Québec.





En
vertu de cet article,
si un copropriétaire fautif refuse de se
conformer à la déclaration de
copropriété, un copropriétaire ou le
syndicat peut demander au tribunal de
l’enjoindre de s’y conformer.
Si le copropriétaire ayant fait l’objet de
l’injonction refuse d’y
obéir, le second alinéa de l’article 1080 permet même
que la vente de
l’unité de ce copropriétaire soit ordonnée.





Notons
cependant que le
texte de l’article 1080 demande qu’un préjudice
«sérieux et irréparable» soit
causé au syndicat ou à un
copropriétaire pour qu’il soit possible d’y recourir.
Les cas
possibles d’application risquaient de devenir cependant assez rares du
fait
que le préjudice causé devait non seulement être sérieux mais
«irréparable
».





La jurisprudence(1) a
heureusement
établi que le remède de l’injonction prévu au premier
alinéa de l’article 1080
pouvait être accordé sans qu’il soit
nécessaire de prouver le caractère
irréparable du préjudice. Ce
critère garderait cependant sa pertinence dans le
cas où le second
alinéa de ce même article, soit la mise en vente de la
fraction du
copropriétaire fautif, devrait être mis en application. À notre
connaissance,
une mesure aussi extrême n’a pas encore été accordée par un
tribunal
québécois depuis l’entrée en vigueur du Code civil du Québec en 1994.





L’injonction prévue à
l’article 1080 n’est cependant pas
limitée aux seuls troubles de voisinage et
peut être demandée dans
le but de mettre fin à toute contravention à la
déclaration de
copropriété, sauf, évidemment, pour exiger le paiement des
charges
communes.





Finalement, notons que
les règles
du bon voisinage s’appliquent tout autant au locataire d’une
fraction
à qui le règlement de l’immeuble est opposable suivant l’article 1057
du
Code civil. Ainsi, lorsqu’une fraction privative fait l’objet d’un bail
de
location, l’article 1079 du Code civil prévoit que le syndicat
puisse demander
la résiliation de ce bail lorsque le locataire cause
un préjudice sérieux2 à un
copropriétaire ou à un occupant de
l’immeuble.





1 Syndicat des
copropriétaires
Estuaire I c. Asselin, REJB 2003-38859 2 L’article 1079 ne
comporte
pas la mention d’«irréparable» contrairement à l’article 1080.