L'ÉVOLUTION DE LA RESPONSABILITÉ
CIVILE AUX ÉTATS-UNIS :
LEÇONS POUR L'ASSURANCE EUROPÉENNE
Patrick
M. Liedtke
Secrétaire général et
directeur général de l'Association de Genève (1)
Le secteur de l'assurance est
très
sensible aux évolutions dans le domaine de la responsabilité civile :
la
croissance très dynamique des montants des sinistres de responsabilité
civile
depuis les années 1950 provoque une hausse constante des coûts. Cela
devrait
déjà suffire pour perturber ce marché où la hausse des cotisations n'a
pas
suffi à compenser l'inflation des sinistres et où les provisions
techniques
supplémentaires ont été nécessaires, dans un certain
nombre de cas, pour les
années antérieures de souscription. Ajoutons à
cela le fait que la plupart des
acteurs du marché s'attendent à ce
que cette tendance à la hausse se poursuive
et, ainsi, la raison pour
laquelle le secteur est si perturbé apparaît
évidente.
Le métier
de la souscription est rendu encore plus difficile par le fait qu'une
grande
partie de la volatilité provient du caractère parfois irrégulier et
«
affectif » des dommages-intérêts accordés par les jurys, tout
particulièrement
ceux situés dans la partie haute de la fourchette qui sont
difficilement
prévisibles par quiconque. Il en résulte un ensemble complexe de
facteurs
de grande incertitude qui rend toute estimation des engagements
futurs,
et donc des exigences en termes de provisions, extrêmement délicate.
Au-delà
de ces questions plus techniques, le secteur de l'assurance se sent
généralement
incompris par la société lorsqu'il s'agit des sinistres de
responsabilité
civile qui font l'objet d'un fort intérêt médiatique, tout
particulièrement
dans les cas où des facteurs affectifs entrent en compte. De
plus,
les assureurs pensent qu'eux-mêmes, ainsi que les dimensions de
solidarité
et de partage des risques qui caractérisent le mécanisme
d'assurance,
sont exploités par les avocats. Aux yeux de la profession, ces
derniers
sont soupçonnés de détourner ce mécanisme à leurs propres fins.
Pourquoi des régimes de responsabilité civile ?
En
tant que principale
institution de recherche en assurance, pourquoi
l'Association de Genève
s'intéresse-t-elle aux questions qui portent
sur les régimes de responsabilité
civile ? C'est certainement une
question très pertinente pour le secteur
de l'assurance et sa
dimension est mondiale. Par ailleurs, elle joue un rôle
primordial
dans l'évolution à venir de nos systèmes économiques et sociaux, où
l'on
peut d'ailleurs observer une tendance générale vers davantage de
responsabilité
sur des périodes de plus en plus longues. Les mécanismes
d'évaluation
des dommages, surtout lorsque ceux-ci ne sont pas physiques, et
les
indemnisations qui en résultent, ne constituent pas uniquement un
problème
d'assurance : ils concernent tout le monde. Pour le secteur
de
l'assurance, ils touchent les principaux acteurs du marché qui
souscrivent ces
risques, mais la plupart des autres secteurs ne
pourraient pas fonctionner
correctement s'il n'existait pas de
solutions adaptées aux responsabilités
qu'ils assument dans le cadre
de leurs activités. Les problèmes sont également
le plus souvent de
nature stratégique, tant pour l'assureur que pour l'assuré.
D'après
nous, le niveau
actuel de connaissance et de compréhension des
problèmes nombreux et très
complexes liés la responsabilité civile
est insuffisant. Le débat sur la
manière d'aborder les défis, et
d'arriver à des solutions qui satisfassent
toutes les parties
impliquées directement ou indirectement dans les cas de
responsabilité
civile, doit être renforcé. La création d'un comité spécial de
planification
des régimes de responsabilité civile et l'organisation d'un cycle
de
conférences sont destinées à atteindre cet objectif de façon intégrée
en
encourageant le dialogue avec les parties concernées. Le secteur
de l'assurance
n'est pas le seul acteur qui puisse – et doive – agir
pour apporter
une réponse au problème des sinistres de responsabilité
civile. Davantage de
parties prenantes doivent intervenir dans ce
processus.
Responsabilité civile :
la tendance aux États-Unis
Au sein des
marchés de
l'assurance, les acteurs sont plus sensibilisés à
l'augmentation de la
fréquence et du volume des sinistres de
responsabilité civile. Dans sa récente
publication intitulée Sigma
(2004), Swiss Re estime « que les
coûts des sinistres de
responsabilité civile augmentent plus vite que
l'activité économique
globale dans la plupart des grandes économies. Des
estimations de
long terme suggèrent que les sinistres augmentent de 1,5 à 2
fois
plus vite que le PIB nominal [...] ». C'est, a priori, le système
américain
qui dispose des coûts des sinistres de responsabilité civile les plus
élevés
au monde. Swiss Re affirme que « les sinistres de responsabilité
professionnelle
sont 2 à 3 fois plus élevés aux États-Unis qu'en Europe en proportion
du PIB ». Ils citent les
données de la NISA
(« National
Insurance Supervisory Authority »), l'autorité
nationale de
surveillance du secteur de l'assurance, qui estime que la part des
sinistres
de responsabilité civile des États-Unis est de 80 % sur les dix
plus
grands marchés d'assurance non-vie mondiaux (67 milliards de dollars
sur
un total de 84 milliards de dollars) et que la part de la
responsabilité
automobile est de 57 % (86,4 milliards de dollars sur
un total de 151,9
milliards de dollars).
Tillinghast-Towers
Perrin
(2003) a analysé les coûts du système américain de la
responsabilité civile.
Dans leur dernière actualisation, ils notent
qu'« aux niveaux actuels,
les coûts de la responsabilité civile
aux États-Unis sont équivalents à un
impôt de 5 % sur les salaires.
Le système américain de la responsabilité
civile a coûté 233
milliards de dollars en 2002, soit 809 dollars par personne,
c'est-à-dire
87 $ de plus qu'en 2001. En comparaison, ce coût atteignait
12
dollars par personne en 1950. » Ils estiment à 14,4 % le taux
de
croissance des coûts de la responsabilité civile aux États-Unis pour
l'année
2001 et à 13,3 % pour l'année 2002, dépassant largement la
croissance du
PIB. Ils notent également que « en tant que méthode
d'indemnisation des
victimes, le système américain de la
responsabilité civile est très peu
efficace car il ne crédite que 50 %
des sommes aux victimes et n'indemnise
que 22 % de la perte
économique réelle ». Ce dernier point est
source de désillusion
pour beaucoup de gens et conduit à des commentaires
fréquents sur les
échecs du système et le besoin de réforme.
D'un point de vue
purement
technique, la hausse du coût des indemnisations ne pose pas
de problème aux
sociétés d'assurances, à condition qu'elles puissent
:
On
peut même affirmer que le
domaine de la responsabilité civile offre
de nombreuses opportunités, puisque
c'est un secteur qui croît
beaucoup plus vite que la moyenne et qu'il ouvre par
conséquent de
nouveaux marchés.
Ce qui inquiète le secteur de
l'assurance,
c'est que l'évolution du coût des sinistres de responsabilité
civile
est beaucoup plus dynamique que prévu, surtout au moment d'assurer un
risque
à long terme. L'intensité inattendue de ce développement et le niveau
insuffisant
de provisionnement des risques qui en découle ont causé des
problèmes
importants pour certains assureurs. En outre, la volatilité des
dommages-intérêts
accordés par le jury, parfois irréguliers,
« affectifs » et très
coûteux, est négative pour l'environnement
opérationnel.
De
plus, l'environnement juridique
a radicalement changé. Dans certains
cas, le système de responsabilité civile
aux États-Unis s'est
éloigné de l'approche traditionnelle de faute et
remboursement. Parmi
les principes nouveaux et de plus en plus répandus, on
trouve :
Certains
observateurs du
système juridique américain prétendent que celui-ci
passe d'un système de faute
et récompense à un système
essentiellement concentré sur la distribution de
richesses.
En
réalité, c'est la nature
même du système de production juridique qui
constitue le changement le plus
inquiétant. Dans une configuration
classique, une affaire cherchait à être
résolue ; aujourd'hui c'est
la résolution qui cherche des procès
potentiels. Les cabinets
d'avocats américains notamment, mais également de plus
en plus
d'autres cabinets du monde entier, ont restructuré leurs modèles
d'entreprise.
Ils se considèrent comme des entrepreneurs qui utilisent les
mêmes
instruments et processus que d'autres secteurs : la standardisation
des
produits et des services, les économies d'échelle, la réduction des
coûts
administratifs, les efforts de commercialisation, le
développement de
l'activité et la planification stratégique des
investissements, pour n'en citer
que quelque-uns. Ils réinvestissent
désormais les produits des précédentes
affaires et sont devenus aussi
agressifs et efficaces que les acteurs des
autres domaines dans
l'identification de nouvelles opportunités. Rajouter une
autre
affaire à une grande action de groupe a un coût marginal
négligeable ;
en conséquence, ce type de recours est devenu l'un des
instruments
préférés du secteur juridique. Cette révolution du système de
production
est aussi importante pour les professions juridiques que l'a été le
taylorisme
pour le secteur automobile, avec des conséquences semblables pour
nos
économies.
Le système juridique
américain qui autorise «
le choix du lieu du procès », ainsi que
d'autres techniques destinées
à maximiser les dommages-intérêts, a induit une
hausse du coût des
sinistres. De nos jours, le lieu du procès est l'une des
variables
les plus importantes influant sur la manière dont une affaire sera
résolue
et sur le montant des dommages qui seront versés. Il n'est pas étonnant
que
la partie adverse fasse des efforts croissants afin de sélectionner ou
d'éviter
certaines localités. Le développement du système juridique par le
biais
des juges et des jurés, qui ne sont généralement pas formés aux
affaires
économiques, et encore moins en assurance, pose problème.
Lorsque le cadre pour
de futures activités (et de futures exclusions
!) est défini par des
personnes qui – parce que le système n'a pas
été mis en place de manière
adéquate – ne comprennent souvent pas les
implications plus larges de
certaines de leurs décisions, nous ne
devons pas nous étonner que le résultat
ne soit pas optimal.
Environnement du coût des sinistres de responsabilité
civile
: le nouveau système juridique de production
Nous
devons prendre
conscience que nous opérons dans un environnement de
plus en plus différent au
sein duquel les agents économiques ont des
attentes et des priorités
différentes lorsqu'ils interagissent. Non
seulement la sphère juridique a
changé : c'est aussi le cas de
l'économie dans son ensemble. Ce sont
l'émancipation de la production
de biens physiques et le nouvel accent mis sur
la performance dans
le temps qui ont conduit à la nouvelle économie de services
(Giarini,
Liedtke, 1997) (Giarini, Sthahl, 2000) (2).
Aujourd'hui, les clients et les
partenaires commerciaux recherchent davantage
de services,
l'intensité de la maintenance augmente, les accords de crédit-bail
sont
plus courants, les droits d'utilisation associés à des services sont
plus
importants que la propriété. La qualité de service s'est
probablement améliorée
au cours des dernières décennies et la
performance dans le temps est plus
importante que la simple livraison
de biens. Les garanties et les
« promesses » sont inhérentes aux
relations professionnelles et elles
créent des zones d'ombre propices
à d'éventuels litiges. L'externalisation et
la mondialisation
rallongent les chaînes de création de valeur, davantage de
progrès
internationaux et technologiques les rendent plus complexes, et tous les
partenaires
concernés comprennent aujourd'hui pleinement la notion de cascade
de
qualité. Dans un même temps, les relations professionnelles sont de
plus en
plus contractuelles, donc tout le monde est peut-être plus
disposé à engager
des poursuites. Une meilleure documentation des
processus d'entreprise favorise
les procès, plus particulièrement par
le biais de l'usage de l'Internet, dont
l'utilisation s'est
généralisée et qui permet de rechercher des informations
utiles dans
les procès, créant parfois des problèmes d'interprétation plusieurs
années
après leur ouverture.
D'un point de vue
social, les aspects éthiques
inhérents à la conduite des affaires ont
pris de l'importance : il ne
suffit plus d'être techniquement
correct, mais il faut également être considéré
comme éthiquement
correct (c'est-à-dire honnête, équitable). Le comportement
socialement
responsable est essentiel pour entretenir de bonnes relations, non
seulement
avec les clients et les partenaires commerciaux mais également avec
les
médias et le système juridique. La transparence doit être le moteur de
progrès
du nouveau système économique. Dans ce nouvel environnement, la
responsabilité
n'est plus liée au simple risque d'entreprise. La responsabilité
sociale
est devenue une nouvelle source de responsabilité civile et, comme nous
l'avons
précisé un peu plus haut, l'affinité sociale envers les procès est en
hausse.
Il existe davantage de clients informés et proactifs qui ont créé leurs
propres
organisations spécialisées destinées à défendre leurs intérêts. L'accès
généralement
plus facile au système juridique (qui inclut un accès plus large à
la
protection juridique offerte par les assureurs !) contribue à ce
développement,
tout comme l'utilisation d'outils nouveaux destinés à réduire le
risque
(coût) du demandeur dans le cas d'un procès perdu, incitent
l'ayant-droit
à trouver une solution juridique pour faire valoir ses droits. Le
nouvel
équilibre gain/perte pour les demandeurs et leurs avocats (surtout par
le
biais du regroupement de sinistres) favorise l'augmentation du nombre
de
procès. L'utilisation d'instruments autres que juridiques voit le
jour dans les
processus : l'usage ciblé et étendu des médias afin de
créer un certain
climat pour les procès-vedettes et le «
développement de l'affectif »
dans les procès, ont pour objectif
d'apporter une dimension supplémentaire à
l'analyse rationnelle et
contractuelle
CIVILE AUX ÉTATS-UNIS :
LEÇONS POUR L'ASSURANCE EUROPÉENNE
Patrick
M. Liedtke
Secrétaire général et
directeur général de l'Association de Genève (1)
Le secteur de l'assurance est
très
sensible aux évolutions dans le domaine de la responsabilité civile :
la
croissance très dynamique des montants des sinistres de responsabilité
civile
depuis les années 1950 provoque une hausse constante des coûts. Cela
devrait
déjà suffire pour perturber ce marché où la hausse des cotisations n'a
pas
suffi à compenser l'inflation des sinistres et où les provisions
techniques
supplémentaires ont été nécessaires, dans un certain
nombre de cas, pour les
années antérieures de souscription. Ajoutons à
cela le fait que la plupart des
acteurs du marché s'attendent à ce
que cette tendance à la hausse se poursuive
et, ainsi, la raison pour
laquelle le secteur est si perturbé apparaît
évidente.
Le métier
de la souscription est rendu encore plus difficile par le fait qu'une
grande
partie de la volatilité provient du caractère parfois irrégulier et
«
affectif » des dommages-intérêts accordés par les jurys, tout
particulièrement
ceux situés dans la partie haute de la fourchette qui sont
difficilement
prévisibles par quiconque. Il en résulte un ensemble complexe de
facteurs
de grande incertitude qui rend toute estimation des engagements
futurs,
et donc des exigences en termes de provisions, extrêmement délicate.
Au-delà
de ces questions plus techniques, le secteur de l'assurance se sent
généralement
incompris par la société lorsqu'il s'agit des sinistres de
responsabilité
civile qui font l'objet d'un fort intérêt médiatique, tout
particulièrement
dans les cas où des facteurs affectifs entrent en compte. De
plus,
les assureurs pensent qu'eux-mêmes, ainsi que les dimensions de
solidarité
et de partage des risques qui caractérisent le mécanisme
d'assurance,
sont exploités par les avocats. Aux yeux de la profession, ces
derniers
sont soupçonnés de détourner ce mécanisme à leurs propres fins.
Pourquoi des régimes de responsabilité civile ?
En
tant que principale
institution de recherche en assurance, pourquoi
l'Association de Genève
s'intéresse-t-elle aux questions qui portent
sur les régimes de responsabilité
civile ? C'est certainement une
question très pertinente pour le secteur
de l'assurance et sa
dimension est mondiale. Par ailleurs, elle joue un rôle
primordial
dans l'évolution à venir de nos systèmes économiques et sociaux, où
l'on
peut d'ailleurs observer une tendance générale vers davantage de
responsabilité
sur des périodes de plus en plus longues. Les mécanismes
d'évaluation
des dommages, surtout lorsque ceux-ci ne sont pas physiques, et
les
indemnisations qui en résultent, ne constituent pas uniquement un
problème
d'assurance : ils concernent tout le monde. Pour le secteur
de
l'assurance, ils touchent les principaux acteurs du marché qui
souscrivent ces
risques, mais la plupart des autres secteurs ne
pourraient pas fonctionner
correctement s'il n'existait pas de
solutions adaptées aux responsabilités
qu'ils assument dans le cadre
de leurs activités. Les problèmes sont également
le plus souvent de
nature stratégique, tant pour l'assureur que pour l'assuré.
D'après
nous, le niveau
actuel de connaissance et de compréhension des
problèmes nombreux et très
complexes liés la responsabilité civile
est insuffisant. Le débat sur la
manière d'aborder les défis, et
d'arriver à des solutions qui satisfassent
toutes les parties
impliquées directement ou indirectement dans les cas de
responsabilité
civile, doit être renforcé. La création d'un comité spécial de
planification
des régimes de responsabilité civile et l'organisation d'un cycle
de
conférences sont destinées à atteindre cet objectif de façon intégrée
en
encourageant le dialogue avec les parties concernées. Le secteur
de l'assurance
n'est pas le seul acteur qui puisse – et doive – agir
pour apporter
une réponse au problème des sinistres de responsabilité
civile. Davantage de
parties prenantes doivent intervenir dans ce
processus.
Responsabilité civile :
la tendance aux États-Unis
Au sein des
marchés de
l'assurance, les acteurs sont plus sensibilisés à
l'augmentation de la
fréquence et du volume des sinistres de
responsabilité civile. Dans sa récente
publication intitulée Sigma
(2004), Swiss Re estime « que les
coûts des sinistres de
responsabilité civile augmentent plus vite que
l'activité économique
globale dans la plupart des grandes économies. Des
estimations de
long terme suggèrent que les sinistres augmentent de 1,5 à 2
fois
plus vite que le PIB nominal [...] ». C'est, a priori, le système
américain
qui dispose des coûts des sinistres de responsabilité civile les plus
élevés
au monde. Swiss Re affirme que « les sinistres de responsabilité
professionnelle
sont 2 à 3 fois plus élevés aux États-Unis qu'en Europe en proportion
du PIB ». Ils citent les
données de la NISA
(« National
Insurance Supervisory Authority »), l'autorité
nationale de
surveillance du secteur de l'assurance, qui estime que la part des
sinistres
de responsabilité civile des États-Unis est de 80 % sur les dix
plus
grands marchés d'assurance non-vie mondiaux (67 milliards de dollars
sur
un total de 84 milliards de dollars) et que la part de la
responsabilité
automobile est de 57 % (86,4 milliards de dollars sur
un total de 151,9
milliards de dollars).
Tillinghast-Towers
Perrin
(2003) a analysé les coûts du système américain de la
responsabilité civile.
Dans leur dernière actualisation, ils notent
qu'« aux niveaux actuels,
les coûts de la responsabilité civile
aux États-Unis sont équivalents à un
impôt de 5 % sur les salaires.
Le système américain de la responsabilité
civile a coûté 233
milliards de dollars en 2002, soit 809 dollars par personne,
c'est-à-dire
87 $ de plus qu'en 2001. En comparaison, ce coût atteignait
12
dollars par personne en 1950. » Ils estiment à 14,4 % le taux
de
croissance des coûts de la responsabilité civile aux États-Unis pour
l'année
2001 et à 13,3 % pour l'année 2002, dépassant largement la
croissance du
PIB. Ils notent également que « en tant que méthode
d'indemnisation des
victimes, le système américain de la
responsabilité civile est très peu
efficace car il ne crédite que 50 %
des sommes aux victimes et n'indemnise
que 22 % de la perte
économique réelle ». Ce dernier point est
source de désillusion
pour beaucoup de gens et conduit à des commentaires
fréquents sur les
échecs du système et le besoin de réforme.
D'un point de vue
purement
technique, la hausse du coût des indemnisations ne pose pas
de problème aux
sociétés d'assurances, à condition qu'elles puissent
:
- estimer
leur évolution future ; - provisionner
suffisamment en vue d'évolutions négatives.
On
peut même affirmer que le
domaine de la responsabilité civile offre
de nombreuses opportunités, puisque
c'est un secteur qui croît
beaucoup plus vite que la moyenne et qu'il ouvre par
conséquent de
nouveaux marchés.
Ce qui inquiète le secteur de
l'assurance,
c'est que l'évolution du coût des sinistres de responsabilité
civile
est beaucoup plus dynamique que prévu, surtout au moment d'assurer un
risque
à long terme. L'intensité inattendue de ce développement et le niveau
insuffisant
de provisionnement des risques qui en découle ont causé des
problèmes
importants pour certains assureurs. En outre, la volatilité des
dommages-intérêts
accordés par le jury, parfois irréguliers,
« affectifs » et très
coûteux, est négative pour l'environnement
opérationnel.
De
plus, l'environnement juridique
a radicalement changé. Dans certains
cas, le système de responsabilité civile
aux États-Unis s'est
éloigné de l'approche traditionnelle de faute et
remboursement. Parmi
les principes nouveaux et de plus en plus répandus, on
trouve :
- «
responsabilité
sans faute » (au-delà du concept de mise en
danger implicite) comme,
par exemple, les sinistres liés à
l'amiante touchant des acheteurs de
biens immobiliers peu
méfiants ; - « sinistres
sans préjudice » comme, par
exemple, sur les marchés financiers via
le concept de « fraude
contre le marché » ; - « sinistres
importants sans
raison » comme, par exemple, ceux reposant sur des
contacts avec
de l'amiante sans indication médicale ou développement
pathologique supplémentaire.
Certains
observateurs du
système juridique américain prétendent que celui-ci
passe d'un système de faute
et récompense à un système
essentiellement concentré sur la distribution de
richesses.
En
réalité, c'est la nature
même du système de production juridique qui
constitue le changement le plus
inquiétant. Dans une configuration
classique, une affaire cherchait à être
résolue ; aujourd'hui c'est
la résolution qui cherche des procès
potentiels. Les cabinets
d'avocats américains notamment, mais également de plus
en plus
d'autres cabinets du monde entier, ont restructuré leurs modèles
d'entreprise.
Ils se considèrent comme des entrepreneurs qui utilisent les
mêmes
instruments et processus que d'autres secteurs : la standardisation
des
produits et des services, les économies d'échelle, la réduction des
coûts
administratifs, les efforts de commercialisation, le
développement de
l'activité et la planification stratégique des
investissements, pour n'en citer
que quelque-uns. Ils réinvestissent
désormais les produits des précédentes
affaires et sont devenus aussi
agressifs et efficaces que les acteurs des
autres domaines dans
l'identification de nouvelles opportunités. Rajouter une
autre
affaire à une grande action de groupe a un coût marginal
négligeable ;
en conséquence, ce type de recours est devenu l'un des
instruments
préférés du secteur juridique. Cette révolution du système de
production
est aussi importante pour les professions juridiques que l'a été le
taylorisme
pour le secteur automobile, avec des conséquences semblables pour
nos
économies.
Le système juridique
américain qui autorise «
le choix du lieu du procès », ainsi que
d'autres techniques destinées
à maximiser les dommages-intérêts, a induit une
hausse du coût des
sinistres. De nos jours, le lieu du procès est l'une des
variables
les plus importantes influant sur la manière dont une affaire sera
résolue
et sur le montant des dommages qui seront versés. Il n'est pas étonnant
que
la partie adverse fasse des efforts croissants afin de sélectionner ou
d'éviter
certaines localités. Le développement du système juridique par le
biais
des juges et des jurés, qui ne sont généralement pas formés aux
affaires
économiques, et encore moins en assurance, pose problème.
Lorsque le cadre pour
de futures activités (et de futures exclusions
!) est défini par des
personnes qui – parce que le système n'a pas
été mis en place de manière
adéquate – ne comprennent souvent pas les
implications plus larges de
certaines de leurs décisions, nous ne
devons pas nous étonner que le résultat
ne soit pas optimal.
Environnement du coût des sinistres de responsabilité
civile
: le nouveau système juridique de production
Nous
devons prendre
conscience que nous opérons dans un environnement de
plus en plus différent au
sein duquel les agents économiques ont des
attentes et des priorités
différentes lorsqu'ils interagissent. Non
seulement la sphère juridique a
changé : c'est aussi le cas de
l'économie dans son ensemble. Ce sont
l'émancipation de la production
de biens physiques et le nouvel accent mis sur
la performance dans
le temps qui ont conduit à la nouvelle économie de services
(Giarini,
Liedtke, 1997) (Giarini, Sthahl, 2000) (2).
Aujourd'hui, les clients et les
partenaires commerciaux recherchent davantage
de services,
l'intensité de la maintenance augmente, les accords de crédit-bail
sont
plus courants, les droits d'utilisation associés à des services sont
plus
importants que la propriété. La qualité de service s'est
probablement améliorée
au cours des dernières décennies et la
performance dans le temps est plus
importante que la simple livraison
de biens. Les garanties et les
« promesses » sont inhérentes aux
relations professionnelles et elles
créent des zones d'ombre propices
à d'éventuels litiges. L'externalisation et
la mondialisation
rallongent les chaînes de création de valeur, davantage de
progrès
internationaux et technologiques les rendent plus complexes, et tous les
partenaires
concernés comprennent aujourd'hui pleinement la notion de cascade
de
qualité. Dans un même temps, les relations professionnelles sont de
plus en
plus contractuelles, donc tout le monde est peut-être plus
disposé à engager
des poursuites. Une meilleure documentation des
processus d'entreprise favorise
les procès, plus particulièrement par
le biais de l'usage de l'Internet, dont
l'utilisation s'est
généralisée et qui permet de rechercher des informations
utiles dans
les procès, créant parfois des problèmes d'interprétation plusieurs
années
après leur ouverture.
D'un point de vue
social, les aspects éthiques
inhérents à la conduite des affaires ont
pris de l'importance : il ne
suffit plus d'être techniquement
correct, mais il faut également être considéré
comme éthiquement
correct (c'est-à-dire honnête, équitable). Le comportement
socialement
responsable est essentiel pour entretenir de bonnes relations, non
seulement
avec les clients et les partenaires commerciaux mais également avec
les
médias et le système juridique. La transparence doit être le moteur de
progrès
du nouveau système économique. Dans ce nouvel environnement, la
responsabilité
n'est plus liée au simple risque d'entreprise. La responsabilité
sociale
est devenue une nouvelle source de responsabilité civile et, comme nous
l'avons
précisé un peu plus haut, l'affinité sociale envers les procès est en
hausse.
Il existe davantage de clients informés et proactifs qui ont créé leurs
propres
organisations spécialisées destinées à défendre leurs intérêts. L'accès
généralement
plus facile au système juridique (qui inclut un accès plus large à
la
protection juridique offerte par les assureurs !) contribue à ce
développement,
tout comme l'utilisation d'outils nouveaux destinés à réduire le
risque
(coût) du demandeur dans le cas d'un procès perdu, incitent
l'ayant-droit
à trouver une solution juridique pour faire valoir ses droits. Le
nouvel
équilibre gain/perte pour les demandeurs et leurs avocats (surtout par
le
biais du regroupement de sinistres) favorise l'augmentation du nombre
de
procès. L'utilisation d'instruments autres que juridiques voit le
jour dans les
processus : l'usage ciblé et étendu des médias afin de
créer un certain
climat pour les procès-vedettes et le «
développement de l'affectif »
dans les procès, ont pour objectif
d'apporter une dimension supplémentaire à
l'analyse rationnelle et
contractuelle